Jos Barlow, auteur de cet article, est professeur à la Lancaster University (Royaume-Uni) et Alexander C. Lees travaille à la Manchester Metropolitan University. La version originale de cet article a été publiée sur le site The Conversation, dont franceinfo est partenaire.Imaginez une forêt tropicale à l’aube : sa canopée abritant fougères et orchidées, les troncs d’arbres couverts de mousses et de lichens spongieux, la brume matinale se dissipant aux premiers rayons du soleil. Bien qu’il y ait du combustible partout, il semble inimaginable que de tels écosystèmes humides puissent un jour prendre feu.Sans l’intervention des hommes, en effet, ils ne prennent pas feu. Les données relatives à l’étude du charbon de bois indiquent que les feux sont peu fréquents en Amazonie, et cela même depuis les périodes d’établissement humain précolombien ; les 8 000 espèces d’arbres de cette région ne témoignent en outre d’aucune des adaptations évolutives au feu que l’on trouve en savane ou du côté des forêts boréales.Avec les milliers d’incendies qui ravagent actuellement l’Amazonie, il est essentiel d’observer le comportement de ces feux. On parle ici d’”incendies de forêt”, qui désignent des feux devenus incontrôlables, qu’ils aient été ou non provoqués par les activités humaines. Que signifient-ils pour une forêt qui n’a pas évolué avec le feu ? Et que faut-il faire pour limiter les dégâts et mieux prévenir ces événements dramatiques ?Contrairement à de nombreuses images qui circulent sur les réseaux, montrant des canopées dévorées par les flammes, les feux de forêt dans des zones tropicales n’ayant connu que peu d’événements de ce type n’apparaissent pas comme des phénomènes qui modifient les écosystèmes. Les flammes n’avancent que de 200 à 300 mètres par jour ; elles dépassent rarement 30 cm de hauteur, ne brûlant que des feuilles et du bois tombé.
Dans ce contexte, la plupart des animaux mobiles peuvent s’enfuir et les pompiers – s’ils sont présents – peuvent stopper l’avancée des flammes en ratissant de simples coupe-feu. On se souvient que les humbles pistes formées par des fourmis coupeuses de feuilles auront été parfois suffisantes pour arrêter des feux de forêt dans le sud amazonien.Mais l’intensité d’un incendie ne prédit pas nécessairement sa gravité. Le manque d’adaptation naturelle pour faire face aux incendies de forêt rend en effet les espèces tropicales incroyablement vulnérables. Même un feu de forêt de faible intensité peut tuer la moitié des arbres. Si les petits sujets disparaissent en premier, les plus gros meurent souvent les années suivantes, entraînant une perte éventuelle de plus de la moitié des stocks de carbone forestier. Car ce sont ces grands arbres qui contiennent le plus de carbone, et la repousse d’espèces pionnières n’offre pas de compensation : une fois brûlées, les forêts contiennent 25 % de carbone en moins que les forêts non brûlées, et ce même après trois décennies de repousse.Avec un impact aussi dévastateur sur les arbres, il n’est pas surprenant que les animaux et les humains qui dépendent de la forêt soient également très affectés. Les primates sont moins abondants dans les forêts brûlées et de nombreux oiseaux insectivores spécialisés disparaissent complètement. Quant aux populations locales qui comptent sur ces écosystèmes pour le gibier, les matériaux de construction et les médicaments, il s’agit d’une perte incommensurable.C’est ce qui arrive lorsqu’une forêt brûle pour la première fois. La situation est cependant très différente lorsque les incendies deviennent récurrents. Les arbres morts lors de précédents feux fournissent le combustible des futurs incendies ; une vraie poudrière sous la canopée éclaircie. Dans ces forêts, la hauteur des flammes atteint souvent la cime des arbres, causant la mort de presque tous les végétaux restants.On évoque souvent le phénomène de “savanisation” pour décrire une telle situation. Mais bien que les broussailles et les arbres clairsemés qui en résultent puissent avoir, en apparence, des similitudes avec ceux des prairies tropicales, ils ne contiennent aucune de leurs propriétés culturelles ou de biodiversité uniques. Au lieu de cela, les feux de forêt récurrents sont plus susceptibles d’accélérer la transition de l’Amazonie vers un écosystème à faible diversité et à faible teneur en carbone, conservant seulement une petite portion de sa valeur sociale et écologique actuelle.Nous savons que les incendies de forêt ne relèvent pas d’un processus naturel en Amazonie, alors pourquoi y a-t-il tant ? Il est encore difficile de savoir exactement ce qui a brûlé : les satellites qui détectent les feux actifs et la fumée demeurent des guides imprécis. Les choses deviendront plus claires lorsque les traces de brûlure seront cartographiées avec précision pour une multiplicité de sols. Mais l’on peut déjà avancer qu’un mix de trois types d’incendies différents est à l’œuvre.Certains de ces incendies sont liés à un pic récent de déforestation : la végétation coupée est brûlée pour permettre la création d’exploitations agricoles et satisfaire certaines revendications foncières. D’autres feux correspondent à des brûlis agricoles, utilisés dans la rotation des cultures ou pour supprimer les broussailles qui empiètent sur les pâturages existants.Fait alarmant, même en cette saison sèche considérée comme normale, des preuves indiquent que ces incendies intentionnels ont entraîné des feux dans les forêts sur pied, y compris dans les réserves autochtones.Lutter contre ces incendies est complexe, la situation impliquant de nombreuses activités illégales ou motivées par des considérations politiques. On a constaté, par exemple, une augmentation marquée des incendies enregistrés au cours de la dernière “journée du feu” ; des bûcherons et spéculateurs fonciers ont d’autre part été impliqués dans des départs de feux de forêt au sein de réserves autochtones. Il est ici important de distinguer ces feux illégaux de l’agriculture sur brûlis, pratiquée à petite échelle par les peuples traditionnels et autochtones d’Amazonie. Si ces incendies peuvent potentiellement s’étendre aux forêts, ils demeurent essentiels au maintien des moyens de subsistance de certaines populations parmi les plus pauvres de la région.