Pour les médias anglo-saxons (et pour nous), c’est l’une des révélations de l’année 2019. L’Irlandaise Jessie Buckley explose et émeut dans “Wild Rose”, en salles cette semaine. Rencontre.
“Wild Rose”, de quoi ça parle ?
A peine sortie de prison et de retour auprès de ses deux enfants, Rose-Lynn n’a qu’une obsession : quitter Glasgow pour devenir chanteuse de country à Nashville. Tiraillée entre sa passion et ses obligations de mère, la jeune femme va devoir faire des choix…
AlloCiné : Vous êtes actrice et chanteuse. Cela faisait-il de “Wild Rose” le projet idéal pour vous ?
Jessie Buckley : Oui, bien sûr c’était une opportunité fabuleuse. Mais je n’avais pas chanté depuis un long moment quand j’ai reçu le scénario, et je ne savais plus vraiment ce que représentait le chant pour moi. D’autant que je n’avais jamais chanté de la country avant ce film… Wild Rose, c’était surtout l’occasion de travailler à nouveau avec le réalisateur Tom Harper, qui m’avait dirigé dans la mini-série Guerre et Paix. Pour ces raisons, c’était un projet vraiment plaisant. Et ce personnage est tellement génial. C’était génial en résumé. (Rires)
Vous disiez ne pas connaître la country. Quel regard portiez-vous sur ce style et qu’avez-vous découvert en préparant et en tournant “Wild Rose” ?
Je n’aimais pas du tout la country avant ce film. Du moins je pensais ne pas aimer. Je trouvais ça un peu “péquenaud” pour tout dire. Sans connaître. La scénariste Nicole Taylor est une mordue de country, c’est une encyclopédie vivante de la country. Grâce à elle, j’ai découvert ce style et ce qui m’a surpris et qui m’a fait tomber amoureuse de la country, ce sont les paroles. Ces petites histoires très fortes, très incarnées, ces morceaux de vie d’hommes et de femmes portées par de la musique somme toute assez simple. Il y a de vrais personnages dans la country. Regardez John Prine, Emmylou Harris ou Johnny Cash : il y a un poids, une humanité, une vulnérabilité propre à la country. Ça a changé ma vie. Dans la manière dont je vis la musique comme chanteuse, mais aussi comme comédienne dans la manière de vivre ces histoires.
Comment apprend-on à chanter de la country ? En quoi cela diffère-t-il d’un autre type de musique ?
Il y a un ton vraiment spécifique. Une énergie différente aussi. Mais je ne sais pas vraiment… Il y a surtout de vrais personnages dans la country. Vous vous retrouvez vraiment face à des personnages très forts durant ces trois minutes de “chanson-film”. Quand vous vous laissez prendre par cette musique, seul, alors l’émotion qui réside dans ces histoires ressurgit. C’est ainsi que la country fonctionne le mieux. Johnny Cash ne chante pas vraiment : il vous raconte des choses et laisse des personnages prendre vie à travers sa voix. C’est cela la country.
Quand vous découvrez les paroles de la chanson “Glasgow (No Place Like Home)”, que ressentez-vous ?
Déjà, j’étais très heureuse que nous ayons enfin trouvé la chanson que nous cherchions tant ! (Rires) La chanson est écrite par la comédienne Mary Steenburgen (la fiancée du Doc dans Retour vers le futur III, NDLR). C’est une actrice incroyable et une parolière incroyable. Elle a demandé à lire le scénario en intégralité pour écrire ce morceau. Le label avait envoyé une simple note d’intention résumant le style de chanson recherché, mais elle voulait lire toute l’histoire du personnage pour comprendre le parcours de cette femme et voir ce qui l’avait amenée à ce point précis de son existence. C’est pour cette raison que la chanson résume tout le parcours du personnage et son identité. Au début du film, Rose-Lynn Harlan ressent ce besoin de fuir le plus loin possible de ce qu’elle est, de son histoire, de son passé, de sa réalité pour rejoindre Nashville et le monde de la country : et c’est une fois arrivée là-bas qu’elle prend conscience de qui elle est et de sa propre histoire. Elle comprend qu’elle est une mère. Qu’elle est abîmée. Qu’elle a blessé des gens. Qu’elle a été blessée… Cette histoire, son histoire, c’est ce qu’elle a de plus important à raconter à ce moment-là. Et cette chanson raconte cette histoire.
Dans la chanson, il y a cette phrase “Je devais partir pour comprendre que tout ce dont j’avais besoin était ici”. C’est la meilleure manière de résumer ce film selon vous ?
Tout à fait. C’est exactement ça. (silence) Je ne peux pas mieux le dire ! (Rires)
Votre personnage, Rose-Lynn, est assez fascinant. Dès le premier plan on s’attache à elle, et on alterne ensuite constamment entre cet amour pour elle et notre déception voire notre énervement vis-à-vis de son comportement et de ses décisions. Vous avez ressenti la même chose vis-à-vis d’elle ?
Complètement. Je me souviens à ma première lecture du scénario, je me disais : “Génial, c’est le genre de fille avec qui j’adorerais aller au pub… et avec qui je n’aimerais pas avoir à me battre !” (Rires) Mais je crois que ces moments où l’on est en colère contre elle, elle l’est tout autant contre elle-même. Dès la première lecture, j’ai vu ce film comme un film d’évasion : elle essaie de briser les murs qui la retiennent prisonnière. Elle veut plus dans sa vie. Elle ne veut pas être jugée pour ce qu’elle est et pour les erreurs commises. Elle est constamment à la croisée des chemins, à devoir faire un choix égoïste pour poursuivre ses rêves. Et tous ces moments ne sont pas sans conséquences pour elle. Elle est constamment en plein dilemme. Je suis moi aussi passée de nombreuses fois par là au cours de ma vie… On peut aimer passionnément quelqu’un tout en aimant passionnément ce que l’on fait, comment trouver l’équilibre entre les deux ? C’est tellement difficile. Qu’on soit une femme ou un homme, une mère ou un père, jeune ou vieux… Tout le monde passe à un moment par ce dilemme entre ce besoin d’être libre et indépendant tout en voulant appartenir à une communauté.
Quand on rencontre un chanteur qui s’essaie à la comédie, il dit souvent qu’il peut enfin être quelqu’un d’autre à l’écran alors qu’il est constamment lui sur scène. Au contraire, un acteur qui s’essaie au chant apprécie de pouvoir enfin être lui-même et de ne plus se fondre dans un personnage. Dans votre cas, où vous situez-vous quand vous chantez “Glasgow (No Place Like Home)” dans un late show ou en concert ? Est-ce Rose-Lynn Harlan qui chante ? Est-ce Jessie Buckley ? Un mélange des deux ?
Justement, qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas ! Je n’ai pas encore réussi à me décider ! (Rires)
(Rires) Dans le film, j’incarne Rose-Lynn avant toute chose. Mais j’ai passé un pacte avec elle : je te donne une petite part de moi et je repars avec une petite part de toi. Quand vous incarnez un personnage, votre vision du monde change et vous le voyez à travers ses yeux. Mais je ne peux pas jouer un personnage de manière réaliste sans y mettre un peu de moi. J’ai tourné Wild Rose il y a trois ans. Et Rose-Lynn est toujours là ! (Rires) Elle ne m’a pas laissé complètement partir et je ne l’ai pas abandonnée non plus. J’ai l’impression que toutes les femmes que j’ai incarnées sont toujours là en moi. On me demande souvent comment je laisse le personnage après une scène difficile. Et en réalité, je ne veux pas le laisser. Je me sens vraiment chanceuse d’avoir pu camper toutes ces femmes. Elles m’ont changé et ont changé ma vision du monde, pour le meilleur. Elles sont toutes un peu en moi.
En parlant de femmes qui ont marqué votre carrière, vous avez récemment incarné Lyudmilla Ignatenko dans la série “Chernobyl”. Que vous inspire le succès de la série et quel souvenir gardez-vous de ce tournage ?
C’est assez extraordinaire de voir qu’un drame politique, tragique et réaliste inspiré d’événements réels puisse avoir un tel écho à travers le monde. A une époque qui laisse uniquement la place au sensationnalisme et au cinéma d’évasion avec les films Marvel et productions du genre, c’est réjouissant et rassurant de voir qu’il existe encore de la place pour de telles histoires. Cela me redonne vraiment foi de voir que des histoires aussi osées et pointues que Chernobyl aient un tel impact dans le monde en termes d’émotion mais aussi d’éducation. Pour tout dire, je n’arrive même pas à y croire, tant la réponse globale est énorme. C’était une chance incroyable de pouvoir participer à un tel projet. Et une vraie responsabilité aussi. Quand vous traitez de tels sujets, qui se sont vraiment déroulés et qui ont une importance majeure, vous avez cette responsabilité. Quant au personnage de Lyudmilla Ignatenko, elle m’aura permis de comprendre à quel point l’être humain est capable de survivre à des choses extrêmes et horribles… Ces liquidateurs, ces pompiers, ces civils qui ont traversé ces événements ont vraiment sauvé le monde. A mes yeux, ils méritent vraiment le Prix Nobel de la Paix. Et notre respect.
Quand Jessie Buckley chante “Glasgow (No Place Like Home)